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Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/308

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des barricades au bagne

« — Mais, monsieur André…

« — Tiens, verminasse, en voici un de godillot, et f… le camp au clou !

« Le gaffe, pendant ce temps, se gondolait comme une petite folle. Le gros André m’ayant tout de même donné le ripate, je m’en allais content, quand le gaffe, rigoleur, me fait cette réflexion :

« — Avec une telle assiette la soupe sera forcément grasse ! et y s’gondole de plus belle.

« — Eh ben, quoi ? que je lui dis, faut donc s’ballonner ? Avec un peu de « vasinette » (eau), ce ripate vaudra une assiette.

— Et t’as tortoré ta bouillante, comme si le ripaton était neuf ?

— Comme tu dis, bouffi. Et, maintenant, j’vas roupiller.

Moi aussi j’aurais désiré goûter un peu de repos, car le froid de la nuit troublait mon sommeil, mais les gémissements de Boyon et, pourquoi le cacherai-je, mes propres appréhensions m’en empêchaient.

Tout à coup, j’entends qu’on ouvre la porte de ma cellule… un condamné y pénètre et, sans mot dire, dépose près de moi un morceau de pain et un bout de papier, puis disparaît, après avoir refermé la porte.

Etonné au possible, je saisis le papier et parcours rapidement les quelques mots qui s’y trouvent tracés au crayon :

« Des amis veillent sur vous ; ne craignez pas la bastonnade. Continuez votre système et bon courage ! »

Intrigué par cette nouvelle aventure, je relus dix fois ces quelques mots, prêt à mâchonner et à avaler ce petit papier à la moindre alerte. J’en oubliais le morceau de pain, qui, présentement, acquérait une valeur inappréciable. Ayant lu une dernière fois le mystérieux billet, je le réduisis en boulettes et, quelques gorgées d’eau aidant, le tout disparut, devançant le pain, que j’allais pouvoir attaquer ; mais une seconde surprise m’était réservée : en ouvrant le pain j’y trouvai un morceau de viande plus volumineux, certes, que celui distribué aux autres prisonniers. C’était simplement un repas de Lucullus qui m’était dévolu.