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mémoires d’un communard

Pouvoir, quand on est affamé, donner à son estomac de quoi le calmer, constitue une satisfaction fort appréciable, mais elle est cependant bien au-dessous de celle qu’on éprouve en apprenant qu’au lieu d’être abandonné, livré à la merci de ses bourreaux, il est près de soi des amis qui ne vous oublient pas, que vos souffrances ne sont pas ignorées et qu’un lien d’étroite solidarité continue à unir ceux qui ne sont pas entièrement empêchés à celui qu’écrase l’omnipotence pénitentiaire. Mon malheur me parut alors moins grand, mes ennuis plus supportables.

Il était une partie du billet qui revenait constamment à ma mémoire : « Ne craignez pas la bastonnade !… » Cela voulait-il dire que ce supplice et cette honte me seraient épargnés, ou que le correcteur se montrerait exceptionnellement clément ? Mais cela n’était pas possible ; quelle que fût l’intention, la présence du surveillant-chef, peut-être même celle du commandant, ne saurait autoriser semblable subterfuge. Non, non ; ce « ne craignez pas la bastonnade » veut simplement dire que le sieur Charrière renonce à ce moyen coercitif.

Deux jours se passent sans autre incident.

Malgré les privations, la barre de justice et ses anneaux emprisonnant mes jambes, le froid de la nuit et l’insomnie persistante, je me sens cependant assez fort pour supporter les épreuves qui peuvent m’être réservées.

Quelques-uns des prisonniers échangent des bribes de conversation quand, brusquement, l’un d’eux pousse le cri d’avertissement.

Dans le silence qui se fait, mon oreille, déjà exercée, perçoit que les personnes qui viennent aux cellules ont prononcé mon nom à mi-voix. Je pressens que quelque chose de nouveau va se produire ; que sera-ce ?

La clef du surveillant tourne dans l’énorme serrure et, la porte s’ouvrant, celui-ci me crie :

— 4.486, levez-vous !

Je me mets sur mon séant et fais le geste que je suis retenu par la barre de justice,

— Correcteur, dit le surveillant, en s’adressant à l’individu qui l’accompagne — cette fois ce n’est pas Mayer — enlevez-lui la barre de justice.