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Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/316

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des barricades au bagne

une cigarette, en même temps que nous boirons notre café… Et puis, nous avons à causer…

— A causer ?

— Eli oui, parbleu ! Je vois bien que cela vous paraît étrange, surtout venant de la part de celui qui est chargé de couper la tête aux condamnés à mort… du bourreau !…

« Àllemane, je vous sais un homme sûr, incapable de trahir un secret ; or, j’ai quelque chose de très important à vous communiquer, et c’est pour cela que je vous ai emmené ici…

— En ce cas, parlez, et, quelles que soient vos confidences, vous n’aurez jamais à regretter de me les avoir faites.

— Je le sais ; mais, avant tout, il est indispensable que vous sachiez pourquoi j’ai été condamné et, ensuite, comment je suis devenu bourreau au bagne…

Pâle, secoué de frissons, mon interlocuteur s’en fut chercher une bouteille de tafia et, sans m’en demander l’autorisation, m’en versa quelques gouttes dans mon quart et en remplit à moitié le sien que, d’une lampée, il vida presque.

Son visage s’empourpra et il reprit :

— C’est malgré moi, Allemane, que je suis devenu bourreau, puisque je n’ai jamais été correcteur, et, vous le savez, c’est toujours parmi les correcteurs qu’est choisi l’exécuteur des hautes-œuvres.

— C’est, en effet, ainsi qu’à l’ordinaire les choses se passent.

— Oui, mais laissez-moi tout d’abord vous conter mon histoire. Je suis né en Basse-Normandie ; mon père était pêcheur, et, tout enfant, je dus monter dans sa barque. Plus lard, je fus marin au cabotage et devins second-maître. Appelé au service et occupé à une manœuvre dangereuse — la mer étant ce jour-là complètement démontée — sans que j’en pusse connaître le motif, un lieutenant de vaisseau s’élança sur moi et me frappa de son poing en plein visage…

« Je vis rouge… Près de moi se trouvait une hache d’abordage ; je m’en emparai et, d’un coup terrible, j’en frappai l’officier. Ce fut l’affaire d’un éclair.

« Un grand cri retentit sur le navire : le lieutenant