Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/317

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
298
mémoires d’un communard

était étendu à mes pieds, la tête presque détachée de ses épaules…

« On se précipita sur moi. J’étais comme pétrifié ; je ne songeais même pas à résister… On me mit aux fers et, quelque temps après, le conseil de guerre me condamnait à mort, malgré les témoins venant constater que c’était le lieutenant qui m’avait frappé le premier… Mais, que voulez-vous, je n’étais qu’un pauvre diable, et j’avais eu l’audace de toucher à un membre du « grand corps », d’abattre un de ceux qui se croient en droit de frapper les hommes placés sous leurs ordres.

« Cependant, la rigueur du verdict ne put tenir devant le premier examen, et la peine de mort se transforma en celle des travaux forcés à perpétuité ; je fus donc expédié à Toulon.

« Voilà, en quelques mots, le récit de mon premier malheur ; il ne me reste plus qu’à vous apprendre comment, par la volonté de Charrière, cet homme impitoyable, capable de tout pour briser la volonté d’un malheureux comme moi, j’ai dû consentir à faire cette chose épouvantable : devenir bourreau, trancher la tête à des misérables comme moi qui, si souvent, pour un oui ou pour un non, sont condamnés à mort… »

Ledoux se tut et, pendant que le rouge de la honte lui montait au front, deux grosses larmes, s’échappant de ses paupières, tombèrent sur la petite table. 11 se versa à nouveau du tafia, après que, d’un revers de main, il eut essuyé ses yeux.

— Mille tonnerres ! dit-il en se levant brusquement, jamais je ne pardonnerai à cet homme ! Puis, d’un trait, il but le contenu de son quart.

« Mais je deviens fou, ma parole ; j’ai pourtant besoin de garder mon sang-froid… Attendez ! »

Ledoux, redevenu maître de lui, sortit un instant, inspecta le terrain autour de son gourbi et revint s’asseoir.

— Il n’y a pas un chat sur le plateau ; on n’aime pas à venir de ce côté… Mais, buvez donc ; vous n’avez même pas fini de boire votre café. Moi, chaque fois que je songe à ce que je suis devenu, il me faut boire… Mais écoutez la fin.

« Vous savez que le bourreau, mon prédécesseur, ayant perdu la raison à force de caresser la guillotine,