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Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/319

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mémoires d’un communard

fois certaines canailleries de se commettre et, aussi tenter de conquérir sa liberté. Bref, appelé devant le commandant, qui me fit connaître que Charrière attendait ma réponse et que sa volonté n’avait pas varié, je m’inclinai.

« Mais j’avais trop compté sur ma force de volonté : à la première exécution, je faillis tomber sans connaissance, malgré une ample absorption de tafia. Je ne sais comment je parvins à exécuter le malheureux auquel je devais donner la mort.

« Le soir, on me ramassait ivre-mort dans le camp.

« J’écrivis au Directeur, le suppliant d’avoir pitié de moi ; de m’enlever cette trop redoutable fonction ; que je ne pourrais jamais remplir comme il convient. Il se montra implacable. Je compris alors que c’était une façon à lui de venger l’officier que j’avais tué en une minute d’emportement légitime.

« A chaque exécution, c’est le même martyre ; j’ai horreur de moi-même et je maudis Charrière…

« Allemane, m’accordez-vous quelque confiance ?… »

J’étais impressionné au point que j’en oubliais ma propre situation pour ne songer qu’à celle de ce malheureux, que la fatalité accablait d’une façon aussi terrible. Sa question me fit tressauter.

— Pourquoi me demandez-vous cela ?

— Mais parce que j’ai une idée et que je tiens à vous la soumettre, pour savoir ce que vous en penserez.

— Quelle est donc cette idée ?

Ledoux se leva à nouveau, en me faisant signe d’attendre, sortit mais rentra un instant après. Il avait voulu s’assurer qu’aucune oreille n’était aux écoutes. Il s’assit et, d’une voix basse, qui tremblait un peu, il me dit :

— Allemane, si le bourreau Ledoux vous proposait de vous évader avec lui, accepteriez-vous ?

Je demeurai comme abasourdi par la question, mais, me remettant de l’émoi, je plongeai mes yeux dans les yeux du bourreau, puis, n’hésitant plus, je m’écriai :

— Parbleu ! pour partir d’ici j’affronterais tous les périls… Si vous me faites signe, je serai des vôtres !

— Bien ! dit Ledoux ; maintenant, plus un mot. L’heure de rentrer à la prison, pour le déjeuner, ne va