se pendit ; que le correcteur nègre, auquel, m’a-t-on assuré, on destinait le poste du suicidé, fut poignardé par Delfau, cet ex-écrivain du bureau du commandant qu’il avait à moitié assommé et qui, s’étant plaint, avait été renvoyé sur les travaux.
« Le nègre lui faisant défaut, le Directeur compulsa les dossiers des condamnés et ses yeux tombèrent sur ma condamnation. Il ordonna de compléter les renseignements ; lorsqu’il sut que j’avais presque décapité mon lieutenant d’un seul coup de hache, il vint à l’Ile Nou et me fit appeler chez le commandant.
« — Votre nom est bien Ledoux ?
« — Oui, monsieur le Directeur.
« — Ce n’en sera que plus drôle, n’est-ce pas, commandant ?
« — Certainement, dit le commandant en riant.
« — Eh bien, condamné Ledoux, comme vous savez enlever la têteaux officiers, je vous ai choisi pour que vous enleviez celle des condamnés à mort… Vous m’avez entendu ?
« J’étais devenu pâle comme un spectre et ne pouvais articuler le moindre mot.
« — Je vous demande si vous m’avez entendu, forçat Ledoux ? reprit le Directeur, d’une voix rude.
« — Oui, monsieur le Directeur ; mais, je vous en prie, choisissez pour cela un autre condamné…
« — Comment ; l’Administration vous honore de sa confiance et vous vous faites tirer l’oreille avant d’accepter ce qu’elle vous propose !… Si c’était pour décapiter un officier ou un fonctionnaire quelconque…
« — Monsieur le Directeur !
« — Assez ! j’ai décidé que vous seriez bourreau, et j’entends être obéi ; sinon !…
« Je partis, affolé, me demandant si je n’allais pas me noyer ou me pendre, comme Petit, pour échapper à une fonction aussi épouvantable, car je n’ignorais pas que Charrière se refuserait à revenir sur sa décision.
« J’étais jeune, Allemane, et je n’eus pas le courage de mourir ; je me dis que l’épreuve pourrait avoir une fin : les immunités accordées à l’exécuteur des hautes-œuvres sont relativement grandes ; il donne la mort, il est vrai, mais il peut rendre des services, empêcher par-