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mémoires d’un communard

Il fut la première victime de Fournier, directeur du Four-à-Chaux, ou plutôt de « l’Abattoir aux Communards », ainsi qu’on avait dénommé cet affreux chantier, car d’autres camarades devaient suivre le chemin marqué par le pauvre Demphel, que, malgré l’évidence de sa faiblesse physique, on obligeait à des besognes bien au-dessus de ses forces.

Lors du chargement des bateaux, je devais faire franchir à sa brouette la montée dont j’ai parlé ; mais, un jour, Fournier nous surprit et ordonna à Demphel de conduire sa brouette du four à l’extrémité de la jetée, ce que ce gredin savait impossible.

Craignant de ne pouvoir me maintenir — car je prévoyais ce qui allait se passer — j’enlevai ma brouette et m’éloignai.

Sous les injures que lui déverse Fournier, Demphel fait un suprême effort, mais ses forces le trahissent, et homme, brouette et sac se renversent, roulent à terre.

Sans pitié, devant ce malheureux qui râle, Fournier continue ses invectives, le traite de rosse, de fainéant, de sale communard, que sais-je encore ?

Me voyant revenir, il bava tout son saoul sur la Commune et ses bandits, dont il se promettait de faire crever ou guillotiner ceux qui se trouvaient sous ses ordres.

Je perdis tout sang-froid et, m’avançant sur lui, je me proposais de le saisir à plein corps et de me précipiter dans la mer où, en en finissant avec la vie, je me proposais de le noyer avec moi ; mais le misérable s’esquiva avec une vélocité qui fit éclater de rire ses deux collègues, accourus au bruit et témoins impassibles de cette scène. Détestant Fournier, ils le blâmèrent tout haut d’avoir mis un condamné faible et malade à un tel poste.

On releva Demphel, mais le pauvre garçon touchait au terme de ses souffrances : quelques jours après, on l’emportait au charnier où blanchissent les os de nombreux compagnons de lutte dont le martyre a affermi le régime dont ont profité et profitent, à peu d’exceptions près, les mêmes hommes qui nous expédiaient au bagne de Toulon et à celui de la Nouvelle-Calédonie, et nous livraient aux fauves de la haute et de la basse chiourme.