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mémoires d’un communard

aujourd’hui encore, dépasse l’entendement de beaucoup de nos concitoyens, n’eut pas l’heur d’être approuvée ; je ne sais même pas si les habitants des cloaques parisiens l’eussent appuyée. Elle me valut d’être considéré comme un déséquilibré par des gens qui se croyaient révolutionnaires, mais dont le respect pour la sacro-sainte propriété troublait quelque peu le jugement.

Pendant la bataille, cet état d’âme se retrouvera même chez les plus déterminés des combattants, qui préféreront se faire tuer derrière de minuscules retranchements plutôt que d’envahir les maisons, d’y percer des meurtrières, d’y pratiquer des passages qui les garderaient des mouvements tournants, et cela malgré les mille exemples que leur en donnent les soldats qui les fusillent des fenêtres et des toits, les prennent à revers en effondrant les murs, en employant la pioche ou la dynamite.

Les premiers, libres ou à peu près de n’en faire qu’à leur volonté, agissent sous l’empire de l’atavique respect si soigneusement entretenu dans les cerveaux prolétariens ; les seconds, quoique imbus des mêmes préjugés, ont cependant une tout autre attitude ; cela s’explique tout simplement par la terreur qui plane sur eux et en fait, au regard des chefs, des instruments dociles : la peur, cause initiale de l’obéissance passive, fait s’incliner l’innombrable foule aux ordres d’une poignée d’individus qu’elle suppose plus forts qu’elle, et, quels que soient les ordres donnés, le soldat obéit.

C’est pourquoi la Commune fut heureusement inspirée lorsque, après avoir constaté que « quelque infâme que soit la consigne » la troupe la respecte, elle décréta la suppression des conseils de guerre, de la justice militaire, chère aux Ravary, laquelle n’a d’autre objet que de placer des milliers de pauvres diables sous la dépendance de la caste militaire, tout en gardant cette dernière contre certaines curiosités dangereuses.

La suppression du Code abominable, si propice aux officiers, que l’on venait de décider, ne fit qu’aviver la haine que les soudards galonnés nourrissaient contre la cité révolutionnaire, et cela prit les proportions d’une folie furieuse.

Après tant de déboires, ce m’est une joie de rappeler