Page:Alletz - Discours sur la république de Venise.djvu/17

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semblait à la nature qui se meut et ne change pas, et où les éléments font naître l’harmonie de leur combat même. La constitution demeurait stable et invincible, puisque les diverses classes opposées entre elles travaillaient, à cause de cette contrariété même, à la gloire et au salut de l’État. La crainte, la jalousie, la haine, l’orgueil, la servitude, la tyrannie, toutes les mauvaises passions, convenaient à soutenir la redoutable majesté des lois. La constitution, quand elle fut éprouvée par plusieurs siècles, parut d’autant plus respectable, qu’elle ne semblait plus appuyée par personne. L’individu s’accoutumait à être vaincu par la force mystérieuse de la société ; et cette habitude établie dans les esprits, y surmontait, comme fait la religion même, l’inconstance naturelle à l’homme.

C’est donc par les côtés qui le recommandent le moins à la justice et à l’humanité, que le gouvernement de Venise fait reluire le mieux sa force et sa stabilité. Ainsi s’explique l’étonnante durée de cette puissante oligarchie qui subsista treize cents ans. Tandis que les gouvernements des autres républiques de l’Italie changeaient de forme au milieu d’interminables discordes, celui de Venise se corrigeait lui-même à travers les rares tentatives que firent les mécontents pour le renverser. Pise, Gênes, Florence ne trouvèrent souvent d’autre moyen, pour contenir les factions rivales, que de se mettre de plein gré sous les lois de l’étranger. Loin de là, Venise concentrait de plus en plus son administration aux mains de ses plus anciennes familles. On a vu que, pour s’ôter à eux-mêmes la fantaisie de changer leurs lois, les Vénitiens avaient institué au-dessus d’eux un pouvoir inflexible et mystérieux comme le destin lui-même. Ils n’avaient pas craint de sacrifier la liberté à la paix intérieure, et la sûreté même de leurs personnes à la durée de la constitution. Une