Page:Alletz - Discours sur la république de Venise.djvu/18

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fois le conseil des Dix établi, il n’était plus en la puissance de la république de le détruire. Sa vigilance était trop prompte, sa dictature trop entière, la terreur qu’il inspirait trop énervante pour que la volonté de l’État contre lui eût jamais le temps de se déclarer. On peut dire, sans forcer la vérité, que le gouvernement de Venise se soutenait sans les Vénitiens.

L’inquisition disposait des prisons dites les puits et les plombs, tirait sur la caisse du conseil des Dix, sans rendre aucun compte, donnait des ordres à tous les gouverneurs de province et des colonies, à tous les généraux et ambassadeurs de la république. Sa forme de procéder était toujours secrète ; ses membres ne portaient aucun signe extérieur ; ses agents secrets étaient choisis tant dans l’ordre de la noblesse, que parmi les citadins populaires et religieux. Quatre de ces espions étaient attachés dans Venise, à l’insu les uns des autres, à la maison de chaque ambassadeur de tête couronnée ; deux suivaient les pas de tout nouveau sénateur, et mettaient à l’épreuve son zèle et sa discrétion, en venant l’entretenir la nuit des affaires du temps, et en l’engageant par l’appât d’une récompense considérable. Le noble mécontent qui avait médit du gouvernement, était averti deux fois d’être plus circonspect ; à la troisième, il recevait ordre de se condamner à la retraite ; faute d’obéir, il était noyé comme incorrigible.

Ce terrible tribunal envoyait, sans miséricorde, sous les plombs, tout noble qui, dans ses discours, avait disputé de l’ancienneté des familles et classé les races patriciennes en maisons vieilles ou nouvelles. On voulait par là forcer à la discrétion la vanité ou l’envie, et prévenir des factions dans l’ordre des nobles. C’est en effet une des meilleures maximes dans les aristocraties, que celle qui y fait oublier