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Page:Alletz - Discours sur la république de Venise.djvu/20

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Il était interdit à tous les nobles de prendre du service à l’étranger. Devenus puissants hors de leur patrie et sans leur patrie, ils auraient pu l’être contre elle. En outre Venise, qui employait elle-même des étrangers au commandement militaire, avait besoin, pour ne pas les redouter, que ses principaux citoyens demeurassent. Une autre loi défendait à tout Vénitien de rien acquérir en terre ferme, afin que nul n’eût son trésor ni son amour ailleurs que dans la république.

Rien n’avait été oublié dans cette république pour rendre l’aristocratie digne du pouvoir. Quiconque avait contracté une dette pécuniaire envers l’État, demeurait, jusqu’à l’acquittement de cette obligation, inhabile à tout emploi public. Le malheur et le désordre suffisaient pour exclure un patricien de toute participation active à la souveraineté. Ce n’était pas d’ailleurs un méchant principe que celui qui privait de la gestion des affaires de l’État, l’homme qui n’avait pas su régler les siennes.

L’inégalité existait plutôt entre les classes qu’entre les individus. Toutes les fonctions étaient temporaires ; nul ne se maintenait assez longtemps dans un emploi pour avoir une puissance personnelle. Ce n’étaient point les magistrats qui opprimaient : c’étaient les magistratures. Le gouvernement était grand, fort, despotique ; les particuliers petits, faibles et tremblants, sans distinction, devant la loi. Ils ne pouvaient se donner une vraie et solide importance que par l’éclat des services qu’ils rendaient à l’État, en éclairant ses conseils de leurs lumières, ou en le faisant triompher dans la guerre. Là où le mérite et le succès donnaient seuls quelque relief à la personne, devait régner une prodigieuse émulation. La dureté ou l’ingratitude de la république envers ses grands citoyens, loin de décourager les