Page:Alletz - Discours sur la république de Venise.djvu/21

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âmes, les irritaient souvent jusqu’à l’héroïsme. Un prix offert à l’ambition est d’autant plus envié qu’il est plus rare. La manière dont la république traitait ses plus illustres défenseurs est assez visible au seul exemple de Charles Zeno. Celui qui, dans sa jeunesse, avait conquis l’île de Tenedos, plus tard soutenu, en face des Génois, l’honneur de la marine vénitienne, et mis le comble à sa renommée en sauvant la capitale réduite à la dernière extrémité ; ce héros, couvert de blessures, rassasié de gloire et d’années, trop élevé au-dessus de ses concitoyens pour qu’on lui permît d’être doge, fut traduit en jugement, à l’âge de soixante-douze ans, pour avoir accepté 400 ducats d’or d’un prince étranger. En vain Zeno fournit la preuve que la somme reçue n’était qu’un remboursement : il fût condamné, dépouillé de toutes ses dignités et jeté dans les fers. Mais cet inique jugement ne servait qu’à mieux rappeler les victoires qui avaient comparu avec lui devant le tribunal ; et n’y ayant plus d’honneurs publics qu’il n’eût obtenus, la jalousie et la haine lui gardaient le dernier triomphe qui, dans les républiques, achève la gloire des grands hommes.

Pour forcer le premier magistrat de la république à retenir constamment sous ses yeux les devoirs de sa charge, on le couronnait dans le palais ducal, sur le même escalier où le fer du bourreau avait abattu la tête du doge Marino Faliero, traître aux lois de l’État. On lui annonçait que son corps resterait, après sa mort, exposé en public, pendant que son administration serait soumise à un jugement solennel.

Telle était la défiance mutuelle des patriciens, que le commandement de l’armée de terre était toujours confié à un général étranger ; mais, pour s’assurer de la fidélité de celui-ci, on lui demandait souvent pour otages sa femme et ses enfants. Il lui suffisait d’être malheureux à la guerre