Page:Alletz - Discours sur la république de Venise.djvu/22

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pour être attiré à Venise, sous prétexte d’y rendre compte de son plan de campagne : jeté aussitôt dans les fers, il expiait quelquefois, par une mort secrète, un revers essuyé par la république.

Les entraves de toute nature apportées à l’autorité du doge, et la terrible police exercée contre tous les nobles, montraient au peuple qu’il n’y avait personne qui ne sentit le joug : l’égalité était rétablie par la tyrannie. Cette satisfaction donnée aux plébéiens, dans leur servitude, était une des causes qui rendaient sans doute les séditions si rares. On prenait soin de ménager la jalousie du peuple, en interdisant aux nobles le luxe et la magnificence. Des lois somptuaires avaient ce sage effet, car le peuple s’offense plus d’être pauvre qu’il ne s’irrite d’être esclave ; et plus l’autorité est grande au fond, moins elle doit s’étaler vainement au dehors. L’apparence de la familiarité était même imposée au premier magistrat de la république ; à un jour marqué, les pêcheurs devaient être reçus à sa table, et user du droit de le baiser tour à tour sur la joue. On peut ajouter que le peuple, sur la tête duquel la foudre passait sans le menacer, était traité avec une certaine douceur : ses premiers besoins étaient satisfaits ; il n’était soumis qu’à des impôts modérés ; la maxime suivie à son égard était : Pane in piazza, giustizia in palazzo. Le gouvernement prenait un soin tout particulier de ses amusements. L’art de distraire le gros des citoyens a toujours été le grand secret des gouvernements despotiques. Des fêtes religieuses, des cérémonies politiques, des tournois, des joutes sur l’eau, de nombreux spectacles, occupaient les Vénitiens et leur faisaient oublier leurs chaînes. Mais l’une des choses qui leur faisaient peut-être supporter le mieux leur gouvernement, était la permission générale et perpétuelle de se masquer. À l’aide de