Page:Alletz - Discours sur la république de Venise.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et ne compte plus dans le système politique du monde. On eût dit qu’elle cherchait à envelopper ses derniers moments de ce silence et de ce mystère qui avaient couvert jadis les ressorts de sa grandeur. Tel était l’humiliant sommeil de cette orgueilleuse république, qu’elle aima mieux payer tribut aux pirates de la barbarie, que réprimer leurs insolences.

De même qu’aux approches de la mort, tous les organes du corps semblent se déconcerter et marquer une dissolution prochaine, la dernière heure de ce vieil État s’annonça par la lutte intestine de tous les pouvoirs qui, n’ayant plus de grandes affaires à traiter, disputaient du règlement de leurs attributions. En même temps, la corruption des mœurs achevait de rendre Venise indigne de pitié : son ancienne politique avait encouragé cette licence, ses patriciens ayant cru acheter la facilité de bien diriger les affaires au prix de celle qu’ils laissaient aux particuliers de se mal conduire. La gloire et la sûreté de la république servaient de prétexte à cette honteuse tolérance ; mais aujourd’hui, on ne voyait plus que le mal qui, sans justification, était aussi sans remède.

Venise garda la neutralité au milieu de toutes les guerres de l’Europe, sous la protection d’un dédain universel. Le lugubre silence de son arsenal et de ses ports y témoignait de la cessation de tout travail ; des constructions inachevées étaient livrées à la pourriture dans ses bassins ; on n’entendait d’autre bruit que celui des pierres détachées de monuments publics et de palais superbes qu’on laissait crouler ; et, pour se rappeler ce qu’avait été Venise, il fallait chercher sa grandeur dans ses ruines.

La révolution française livra ce timide gouvernement en proie à la plus terrible perplexité. Bien que s’étant déclaré