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Page:Alletz - Discours sur la république de Venise.djvu/5

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et le courage. Les pêcheurs des lagunes manquant de blé, de bois, de pierres et d’eau douce, choses de première nécessité à une société humaine, sentirent le besoin de se créer un moyen d’échange : ils le trouvèrent dans le sel. Leur génie s’appliqua tout entier à l’extraire. Maîtres consommés dans ce procédé, ils ne se bornèrent pas à tirer le sel de leurs côtes, ils se firent peu à peu propriétaires ou fermiers de toutes les salines qu’ils trouvèrent de proche en proche, jusqu’à ce qu’ils eussent entre leurs seules mains la fabrication et le commerce du sel de Cervia, de la Dalmatie, de la Sicile, de Corfou, et même des rivages de l’Afrique et de la mer Noire. C’est ainsi qu’ils se rendirent la mer familière, et se firent, sur ses ondes, comme une autre patrie. Leurs perpétuelles visites à tant de nations diverses policèrent bientôt leurs mœurs, et leur apprirent de bonne heure à comparer les choses. Profitant de ce qu’ils trouvaient chez chaque peuple, ils n’eurent pas de peine à se rendre plus habiles et plus opulents que tous. L’avance qu’ils avaient sur le reste de l’Europe, retenue dans l’ignorance par d’effroyables guerres, les menait rapidement à la puissance. La cupidité était leur passion, la richesse leur but, leurs lois un ensemble de règlements favorables à leur négoce et à leur marine, leur société un corps mu et réglé pour un seul intérêt. Chez le particulier, comme dans l’État, tout allait donc de concert : ni le temps ni les occasions ne leur échappaient, et ils tiraient bénéfice de l’imprudence des autres. En certaines conjonctures, où leur avarice et leur religion étaient aux prises, cette dernière ne prévalait pas toujours : il était peu de scrupule qui les arrêtât au prix d’une espérance de gain. C’est ainsi qu’ils ne rougissaient pas de faire, au nom de Mahomet, leurs traités avec les musulmans, et de se livrer au com-