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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

à l’idée d’aborder par là les hauteurs du puy. Ils s’engagèrent dans un sentier peu frayé, qui les conduisit à mi-côte du pic de l’Aiguiller, à peu près à quatre cents mètres et de son sommet et de sa base, vers une masse rocheuse sur laquelle repose le pic de Sancy.

Mais tout à coup, le terrain manqua devant eux. Un précipice à parois verticales s’ouvrait, laissant apercevoir, bien bas, des blocs de basalte et de lave plantés dans tous les sens et s’enchevêtrant dans un désordre extrême : cela s’appelle le Jardin-du-Diable… Au delà, en face, se dressait une muraille droite et nue, montrant aux regards surpris, dans le roc fendillé, un immense soleil d’artifice, dont tous les rayons, un peu courbés, partaient du centre, avec une longueur de huit à dix mètres. C’est le produit d’un refroidissement de la lave…

Au-dessous d’eux, plusieurs petits pâtres gardaient quelques vaches, moins grosses, vues de si haut, que des moutons. N’osant se hasarder à descendre la pente rapide qui devait permettre de tourner le pied du massif du Sancy, les deux camarades hélèrent à qui mieux mieux les jeunes pâtres. Ceux-ci répondirent à leur appel. Ces voix d’enfants, attristées par les échos, avaient quelque chose des cris de détresse de naufragés perdus sur un rocher au milieu de l’Océan.

Trois petits paysans vinrent rejoindre assez lestement les ascensionnistes, et offrirent de leur servir de guides. Il fallait non pas descendre, mais gravir presque en ligne droite une hauteur de près de quatre cents mètres, sous un soleil ardent frappant perpendiculairement le versant de la montagne. Parfois le pied glissait ; alors pour ne pas rouler à sept ou huit cents mètres, il ne restait que la ressource de s’accrocher aux hautes herbes.

Enfin on atteignit la crête. Jean commit alors l’imprudence de plonger un regard dans la vallée du Mont-Dore, et il éprouva l’horrible sensation d’une griffe s’enfonçant dans sa poitrine comme pour l’attirer dans l’abîme ; tout son sang reflua au cœur, et il n’eut que le temps de se rejeter en arrière pour ne pas tomber, entraîné vers ce vide immense tout hérissé sur son pourtour de sommets dénudés.

Quant à Maurice du Vergier, familier déjà avec les excursions dans les montagnes, il n’avait eu garde de céder à la tentation de regarder derrière lui.

Les jeunes garçons congédièrent leurs guides, et Jean se montra tout aussi généreux que le fils du baron, en gratifiant, comme lui, les petits pâtres d’une belle pièce de cent sous économisée sur le louis d’or de l’excellent Pierre Villamus.