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LES AVENTURIERS DE LA MER


Gisles n’eut plus qu’une pensée : se débarrasser de cet enfant qu’elle haïssait.

Elle avait un frère, capitaine au long cours. Elle parvint à le décider à prendre le petit Gisles à son bord en l’absence de son père, pour l’abandonner n’importe où. Le frère trop complaisant de cette méchante femme se rendait à Québec.

L’enfant, accoutumé dès ses premières années à voir la mer et à fréquenter des marins, consentit sans défiance à suivre son oncle.

Quand on fut à l’embouchure du fleuve Saint-Laurent, le capitaine descendit à terre, emmenant l’enfant avec lui. Il lui fit boire des liqueurs, et le pauvre innocent finit par s’endormir. À son réveil, le capitaine et le navire avaient disparu. Gisles se trouvait seul, sur une terre inconnue. Il avait alors cinq ans. Des Iroquois, humanisés par leurs relations avec les Français du Canada, rencontrèrent le pauvre abandonné. Charmés par les grâces et la douceur de l’enfant, ils l’emmenèrent avec eux dans leur tribu, où commença pour le petit Normand une vie nouvelle bien différente de celle qui avait été la sienne jusque-là.

Quant au père, lorsqu’il revint de voyage, on lui raconta, avec force larmes, que son fils jouant au bord de la mer, s’était noyé, et qu’on n’avait pu retrouver son corps.

Il y avait déjà deux ans que le petit Gisles Couture vivait au milieu des Peaux-Rouges, lorsque, se trouvant un jour sur le rivage près duquel il avait été abandonné, il aperçut un navire qui portait le drapeau blanc de la France ; à l’instant il grimpe à un arbre, secoue un lambeau de toile, attire l’attention du capitaine qui fit mettre un canot à la mer. L’enfant fut recueilli, et l’on s’étonna de trouver dans ces lieux un enfant qui, non seulement parlait le français de la Normandie, mais citait au capitaine les noms de plusieurs personnes qu’il connaissait. Il apprit comment l’enfant avait été abandonné et le ramena à son père. Nous passerons sous silence la confusion de la marâtre, convaincue de tentative criminelle. Nous avons hâte de dire que cette aventure fit beaucoup de bruit ; la marquise de Cauvigny prit l’enfant sous sa protection, et se chargea de son éducation ; il se distingua par des études brillantes, et embrassa l’état ecclésiastique.

Il professa en seconde à l’université de Caen, et la rhétorique à Vernon. Paris ne tarda pas à l’enlever à la province ; il fut appelé à la chaire d’éloquence au collège de la Marche, et devint enfin recteur de l’Uni-