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ne pousse qu’à l’immoralité. — « Rire de singe assis sur la destruction, » a dit, du rire de Voltaire, un poète de nos jours. On ne sort de ce livre que méchant, impur, ricaneur, aride et irréligieux. Comme Rousseau et sa Julie grandissent sur ces sépulcres vides et putréfiés de Voltaire ! comme on se prend à aimer le misanthrope en dépit de tous ses sophismes et de son implacable orgueil, à le respecter pour sa chaleur morale, pour son énergie de haine et d’amour !



XXI. — MATIN DE PRINTEMPS.


Quelle jolie promenade ! ciel pur, soleil levant, tous les tons vifs, tous les contours nets, sauf le lac doucement brumeux et infini. Un œil de gelée blanche poudrait les prairies, donnant aux cuirasses de lierre des grands chênes une vivacité métallique et à tout le paysage, encore sans feuilles, une nuance de santé vigoureuse, de jeunesse et de fraîcheur. « Baigne, ô disciple, ta poitrine avide dans la rosée de l’aurore ! » nous dit Faust, et il a raison. L’air du matin souffle une nouvelle et riante énergie dans les veines et les moelles. Si chaque jour est une répétition de la vie, chaque aube signe avec l’existence comme un contrat nouveau. À l’aube, tout est frais, facile, léger, comme pour l’enfance. À l’aube, la vérité spirituelle est, comme l’atmosphère, plus transparente, et les organes, comme les jeunes feuilles, absorbent plus avidement la lumière, aspirent plus d’éther et moins d’éléments terrestres. Si la nuit et le ciel étoilé