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aigle et colibri, il rôde, furette, explore, sait découvrir tous les passages, et, démon invisible, par la cheminée ou la fenêtre, par la porte ou la serrure, il s’insinue dans chaque citadelle. Coup d’œil et patience, hardiesse et ruse, il a tout pour lui. Stratège consommé, enjôleur irrésistible, charmeur maudit, magnétiseur damné, langue dorée, ange aux traits séduisants, armé de tous les avantages et de toute la science de l’attaque, enfin connaissant le cœur de l’homme aussi bien et presque mieux que Dieu (dont les yeux sont trop purs pour voir le mal), ce n’est pas sans titre qu’il a été appelé de ce nom terrible, hommage rendu à sa puissance : le Tentateur ! Il faut l’avouer, dans l’art de persuader, Satan tient le sceptre, il est le roi des orateurs.

Et penser que chaque cœur d’homme renferme en soi cet artiste de perdition, poète diabolique et orateur infernal ! On ne comprend que trop les terreurs des ascètes et les hallucinations du moyen âge.


XXXI. — LE CHEZ-SOI.


Des douceurs de la vie domestique, ce qui charme le plus, c’est presque leur petite monnaie, ces mille riens, ces attentions, ces égards et ces regards, bagatelles parfois imperceptibles de près et isolément, mais qui, réunies, font une atmosphère de bien-être, et, vues dans le souvenir, une auréole modestement lumineuse, dont l’attrait grandit avec l’âge au lieu de se dissiper. Le con-