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et fleuri ; la nature joyeuse chantait et verdoyait ; le lac n’était qu’un saphir et les coteaux onduleux se veloutaient d’émeraude. Peu à peu l’allégresse devint en moi moins vive et une insaisissable tristesse s’éleva dans mon sein comme un grain noir au fond d’un ciel d’abord sans nuage. La fuite du temps, le vide de la vie, toutes ces éternelles banalités jetèrent leurs ombres dans mon âme. — Que faudrait-il donc pour écarter à jamais le retour de cette inquiète mélancolie ? Deux choses bien simples hélas ! être ce qu’on doit être et avoir ce qu’on peut désirer. Parfait et tout-puissant, il ne faut que cela pour le bonheur. Dieu seul est donc heureux ! Et l’homme ? L’homme n’a de paix qu’autant qu’il possède Dieu, c’est-à-dire, qu’il se donne à Dieu. — Je soupirai, laissai la nature chanter, et revins demander à un livre l’exorcisme de mon vague ennui.


XXXIV. — À MINUIT.


Il est minuit. Resté plus d’une heure sans lumière, laissant chanter en moi et arriver à mes lèvres tout un bouquet d’airs mélancoliques. Je me sentais une limpidité de vie peu ordinaire ; il me semblait être dans mon cœur lui-même, éclairé comme ma chambre à cette heure nocturne d’un demi-crépuscule rêveur. L’esprit de solitude et d’espérance agitait doucement ses ailes autour de mon front dans les ténèbres. Je compris l’âme revoyant, dans le calme du tombeau, passer sa vie terrestre au dedans d’elle, et murmurant, dans le