Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre, 1879.djvu/10

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Madame Trévière fit ses malles et partit pour Brolles, où les parents de son mari étaient cultivateurs. Car vous savez que Trévière était fils de paysans et que jusqu’à douze ans il dénicha des merles en revenant de l’école.

On s’embrassa sous les jambons pendus aux solives de la salle enfumée. La mère Trévière, accroupie devant les tisons de la grande cheminée et ne lâchant pas la queue de la poêle, regardait d’un œil méfiant la Parisienne et sa bonne. Mais elle trouva le petit « bien mignon et tout le portrait de son père ». Quant au bonhomme Trévière, sec et roide dans sa veste de gros drap, il était bien content de voir son petit-fils André.

On n’avait pas fini de souper, et déjà André donnait de gros baisers à son grand-papa, dont le menton piquait, piquait. Puis, monté tout droit sur les genoux du bonhomme, il lui enfonçait le poing dans la joue, en lui demandant pourquoi c’était creux.

— Parce que je n’ai plus de dents.

— Et pourquoi tu n’as plus de dents ?

— Parce qu’elles étaient devenues noires et que je les ai semées dans le sillon pour voir s’il n’en pousserait point des blanches.

Et André riait de tout son cœur. Les joues de son grand-père, c’était bien autre chose que les joues de sa maman !