Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre, 1879.djvu/9

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ans. Il laissait une femme et un enfant qu’il adorait.

On voyait, tous les jours de soleil, sous les sapins du bois de Boulogne, une jeune femme en deuil qui faisait de la guipure et regardait par-dessus son aiguille un petit garçon à quatre pattes entre sa pelle, sa brouette et des petits tas de terre. C’était madame Trévière. Le soleil caressait la chaude pâleur de sa face et un trop plein de vie et d’âme s’échappait en effluves de sa poitrine, parfois oppressée, et de ses grands yeux bruns pailletés d’or. Elle couvait du regard son enfant qui, pour lui montrer les « pâtés » de terre qu’il avait faits, levait sur elle sa tête rousse et ses yeux bleus, la tête et les yeux de son père.

Il était rond et rose. Puis il s’amincit en grandissant et ses joues, tiquetées de taches de rousseur, pâlirent. Sa mère s’inquiétait. Parfois, tandis qu’il s’amusait à courir dans le bois avec ses petits camarades, s’il frôlait la chaise où elle brodait, elle le saisissait au vol, lui soulevait le menton sans rien dire, fronçait le sourcil en examinant ce visage pâlot et secouait imperceptiblement la tête, tandis qu’il reprenait sa volée. La nuit, au moindre bruit, elle se relevait et restait nu-pieds, penchée sur le petit lit. Des médecins, anciens camarades de son mari, la rassurèrent. L’enfant n’était que délicat. Mais il lui fallait la pleine campagne.