Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre, 1879.djvu/8

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raient comme de vaines ombres auprès des hôtes à jamais charmants du cottage de Dickens. Après tout, puisque je vous parle en ce moment, je puis bien vous dire cette histoire qui ne sera jamais écrite. La voici :


andré.


Vous avez connu le docteur Trévière. Vous vous rappelez sa large face ouverte et lumineuse et son beau regard bleu. Il avait la main et l’âme d’un grand chirurgien. On admirait sa présence d’esprit dans les circonstances difficiles. Un jour qu’il faisait à l’amphithéâtre une grave opération, le patient, à demi opéré, tomba dans une extrême faiblesse. Plus de chaleur, plus de circulation ; l’homme passait. Alors Trévière saisit à deux bras, poitrine contre poitrine, et secoua avec la puissance d’un lutteur ce corps sanglant et mutilé. Puis il reprit son scalpel et le mania avec cette audace prudente qui lui était habituelle. La circulation était rétablie, l’homme était sauvé.

En quittant le tablier, Trévière redevenait naïf et bonhomme. On aimait son gros rire. Quelques mois après l’opération que je viens de rappeler, il se fit, en essuyant son bistouri, une piqûre à laquelle il ne prit pas garde et qui lui inocula une affection purulente dont il mourut en deux jours, à l’âge de trente-trois