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Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre.djvu/154

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voyait lui semblait entrer en elle brutalement et la blesser. Elle était tentée de reculer, mais elle ne pouvait s’arrêter. Non, jamais la pensée ne fut aussi complètement abolie dans une personne vivante. Et elle marchait comme irrévocablement déterminée. C’est que tout à l’heure une idée lui était venue, simple, claire et si définitive qu’elle avait exclu toute autre idée. Elle allait, ne se sentant pas même marcher, croyant voler et pourtant bien faible, incapable d’un geste volontaire. Elle allait. Devant elle une fillette trottait en portant un enfant et une boîte au lait. Hélène épiait les gouttes blanches qui tombaient une à une sur les dalles du trottoir. Tout ce qui lui restait de facultés s’appliquait à ce lait répandu. À chaque gouttelette échappée, elle ressentait une inexplicable impression d’angoisse.

Quand elle atteignit les quais, la large étendue ouverte devant elle, le poudroiement de la lumière sur le fleuve et le souffle frais errant sur les eaux lui tirèrent un soupir. Elle hésita une seconde ; mais, tournant à droite, elle reprit sa course. Le quai d’Orsay était tout parfumé d’une odeur de jardins. Elle allait.