Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre.djvu/155

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De la rue du Bac au pont Royal, une file d’hommes affairés, d’ouvrières agiles, de fiacres, d’omnibus lui barraient le passage. Elle prit le pont, sans regarder l’eau, tourna encore une fois à droite, descendit sur la berge, traversa, entre un massif de saules, la passerelle des bains, et entra dans le bateau plein d’une odeur d’eau chaude et de goudron.

Elle attendit tranquillement, en mordillant la pomme de son ombrelle, que la fille en tablier blanc eût préparé son bain. Elle était très calme. Elle entra dans la cabine et dit qu’elle sonnerait quand elle aurait besoin d’un peignoir.

Dès que la petite porte se fut refermée sur elle, elle ouvrit d’une brusque secousse la fenêtre, dont elle écarta les rideaux de calicot, et respira largement. Devant elle, la Seine agitait ses petites lames étincelantes. Du bateau des blanchisseuses, amarré à l’autre rive, partaient les coups sourds des battoirs. Un bourdonnement montait de l’enclos bariolé des bains d’hommes.

Elle embrassait ce spectacle clair d’un regard indolent qui semblait heureux. Ses épaules serrées par le châle de cachemire noir, son voile de veuve