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Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre.djvu/297

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aux murs. Le lavabo était envahi par des livres crasseux et débraillés. Un morceau de savon, un peigne et la moitié d’un petit pain se mêlaient à des manuscrits et à des dictionnaires sur la table à écrire. Cette misère révélait une telle habitude de paresse et de désordre, que M. Sainte-Lucie, après un seul coup d’œil jeté sur la chambre, connut le précepteur comme s’il l’avait suivi de café en café pendant vingt ans. Le malheureux créole s’efforçait de relever par la dignité de sa tenue l’ignominie de sa demeure.

— Excusez-moi, dit-il à l’ancien ministre, de vous recevoir dans le désordre d’une cellule d’anachorète moderne.

Il ajouta en se redressant :

— Les bénédictins du XIXe siècle, c’est nous !

Et il fourrait, à la dérobée, dans ses poches, les peignes et les croûtes de pain qui déshonoraient sa table.

M. Sainte-Lucie dut reconnaître intérieurement qu’il s’était trompé lui-même et qu’il n’avait pas été trompé. Comment M. Godet-Laterrasse eût-il pu tromper quelqu’un ? Ce lézard crotté était pitoyable, mais s’il y avait un sentiment étranger à