Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre.djvu/74

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Ils furent mal à l’aise d’abord. Chacun avait un long espace de vie inconnu à l’autre. Ils cherchaient à se reconnaître. Soit qu’elle voulût faire son devoir de maîtresse de maison, soit qu’elle fût tentée par un secret sentiment, elle lança le premier mot cordial.

— On a quelquefois pensé à vous, dit-elle.

Alors René plongea hardiment dans leurs communs souvenirs. Il parla des tasses de thé de la rue Neuve-des-Petits-Champs, des promenades à Meudon, des robes roses et blanches griffées par les ronces, des beaux gilets de M. Fellaire, auxquels on se ralliait dans les excursions à travers bois, comme au panache du Béarnais, et des folies qu’ils se disaient. Elle lui demanda s’il mettait toujours des grenouilles dans ses poches. Au bout d’un quart d’heure, ils croyaient ne s’être jamais quittés. C’est alors qu’il conta sobrement son voyage et les fatigues monotones du service dans une station malsaine. Elle ouvrait tout grands, en l’écoutant, ses beaux yeux humides. Puis elle lui demanda ce qu’il comptait faire. Il était las, disait-il, de la médecine militaire. Il donnerait sa démission, se ferait médecin de campagne, rebou-