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Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/17

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Pingouins. Il est possible que les nations modernes fournissent un jour les éléments d’une telle histoire. En ce qui concerne l’humanité révolue, il faudra toujours se contenter, je le crains, d’un récit à l’ancienne mode. L’intérêt d’un semblable récit dépend surtout de la perspicacité et de la bonne foi du narrateur.

Comme l’a dit un grand écrivain d’Alca, la vie d’un peuple est un tissu de crimes, de misères et de folies. Il n’en va pas autrement de la Pingouinie que des autres nations ; pourtant son histoire offre des parties admirables, que j’espère avoir mises sous un bon jour.

Les Pingouins restèrent longtemps belliqueux. Un des leurs, Jacquot le Philosophe, a dépeint leur caractère dans un petit tableau de mœurs que je reproduis ici et que, sans doute, on ne verra pas sans plaisir :

« Le sage Gratien parcourait la Pingouinie au temps des derniers Draconides. Un jour qu’il traversait une fraîche vallée où les cloches des vaches tintaient dans l’air pur, il s’assit sur un banc au pied d’un chêne, près d’une chaumière. Sur le seuil une femme donnait le sein à un enfant ; un jeune garçon jouait avec un gros chien ; un vieillard aveugle, assis au soleil, les lèvres entr’ouvertes, buvait la lumière du jour.