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livres. Il eût voulu, par ce regard, changer en pierre non seulement les magistrats, les hommes politiques, les prélats qui s’autorisaient de leur familiarité avec le maître de céans pour demander quelque ouvrage en communication, mais encore M. Gaétan qui, bienfaiteur de la bibliothèque, prenait parfois quelque vieillerie égrillarde ou impie pour les jours de pluie à la campagne, madame René d’Esparvieu, lorsqu’elle venait chercher un livre à faire lire aux malades de son hôpital, et M. René d’Esparvieu lui-même, qui pourtant se contentait à l’ordinaire du Code civil et du Dalloz. En emportant le moindre bouquin, on lui arrachait l’âme. Pour refuser des prêts à ceux-là mêmes qui y avaient le plus de droits, M. Sariette inventait mille mensonges ingénieux ou grossiers et ne craignait pas de calomnier son administration, ni de faire douter de sa vigilance en disant égaré ou perdu un volume qu’un instant auparavant il couvait des yeux, il pressait sur son cœur. Et, quand enfin il lui fallait absolument livrer un volume, il le reprenait vingt fois à l’emprunteur avant de le lui abandonner.