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Page:Anatole France - La Révolte des anges.djvu/32

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Il tremblait sans cesse que quelqu’un des objets confiés à ses soins ne vînt à s’échapper. Conservateur de trois cent soixante mille volumes, il avait constamment trois cent soixante mille sujets d’alarmes. Parfois il s’éveillait, la nuit, trempé d’une sueur froide et poussant un cri d’angoisse, pour avoir vu en rêve un trou sur un des rayons de ses armoires.

Il lui paraissait monstrueux, inique et désolant, qu’un livre quittât jamais son casier. Sa noble avarice exaspérait M. René d’Esparvieu, qui, méconnaissant les vertus de son parfait bibliothécaire, le traitait de vieux maniaque. M. Sariette ignorait cette injustice ; mais il eût bravé les plus cruelles disgrâces, enduré l’opprobre et l’injure pour sauvegarder l’intégrité de son dépôt. Grâce à son assiduité, à sa vigilance, à son zèle, ou, pour tout dire d’un mot, à son amour, la bibliothèque d’Esparvieu n’avait pas perdu un feuillet sous son administration, pendant seize années qui se trouvèrent révolues le 9 septembre 1912.