Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/377

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’abord de me retenir, avec une bonne grâce à laquelle il ne m’avait guère préparé, puis il m’accorda volontiers mon congé. Jahel y eut plus de peine ; mais, étant naturellement raisonnable, elle entra dans les raisons que j’avais de la quitter.

La nuit qui précéda mon départ, tandis que M. d’Anquetil buvait et jouait aux cartes avec le chirurgien-barbier, nous allâmes sur la place, Jahel et moi, pour respirer l’air. Il était embaumé d’herbes et plein du chant des grillons.

— La belle nuit ! dis-je à Jahel. L’année n’en aura plus guère de semblables ; et peut-être, de ma vie, n’en reverrai-je point de si douce.

Le cimetière fleuri du village étendait devant nous ses immobiles vagues de gazon, et le clair de la lune blanchissait les tombes éparses sur l’herbe noire. La pensée nous vint, à tous deux en même temps d’aller dire adieu à notre ami. La place où il reposait était marquée par une croix semée de larmes, dont le pied plongeait dans la terre molle. La pierre qui devait recevoir l’épitaphe n’y avait point encore été posée. Nous nous assîmes tout auprès, dans l’herbe, et là, par un insensible et naturel penchant,