Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/378

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nous tombâmes dans les bras l’un de l’autre, sans craindre d’offenser par nos baisers la mémoire d’un ami que sa profonde sagesse rendait indulgent aux faiblesses humaines.

Tout à coup Jahel me dit dans l’oreille, où elle avait précisément sa bouche :

— Je vois M. d’Anquetil, qui, sur le mur du cimetière, regarde attentivement de notre côté.

— Nous peut-il voir dans cette ombre ? demandai-je.

— Il voit sûrement mes jupons blancs, répondit-elle. C’est assez, je pense, pour lui donner envie d’en voir davantage.

Je songeais déjà à tirer l’épée et j’étais fort décidé à défendre deux existences qui, dans ce moment, étaient encore, peu s’en faut, confondues. Le calme de Jahel m’étonnait ; rien, dans ses mouvements ni dans sa voix, ne trahissait la peur.

— Allez, me dit-elle, fuyez, et ne craignez rien pour moi. C’est une surprise que j’ai plutôt désirée. Il commençait à se lasser, et ceci est excellent pour ranimer son goût et assaisonner son amour. Allez et laissez-moi ! Le premier moment sera dur, car il est d’un caractère violent. Il me battra, mais je ne lui en serai ensuite que plus chère. Adieu !