Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/386

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insensibles auxquelles on croit sans en être touché et qui n’ont ni goût, ni saveur aucune, en sorte qu’on les avale sans s’en apercevoir. Pour ma part, je ne suis pas consolé par la pensée de revoir un jour M. l’abbé Coignard dans le paradis. Sûrement il n’y sera plus reconnaissable et ses discours n’auront pas l’agrément qu’ils empruntaient des circonstances.

En faisant ces réflexions, je vis devant moi une grande lueur qui s’étendait à la moitié du ciel ; le brouillard en était roussi jusque sur ma tête, et cette lumière palpitait à son centre. Une lourde fumée se mêlait aux vapeurs de l’air. Je craignis tout de suite que ce ne fût l’incendie du château d’Astarac. Je hâtai le pas, et je reconnus bientôt que mes craintes n’étaient que trop fondées. Je découvris le calvaire des Sablons d’un noir opaque, sur une poudre de flamme, et je vis presque aussitôt le château, dont toutes les fenêtres flambaient comme en une fête sinistre. La petite porte verte était défoncée. Des ombres s’agitaient dans le parc et murmuraient d’horreur. C’étaient des habitants du bourg de Neuilly, accourus en curieux et pour porter secours. Quelques-uns lançaient par une pompe des jets d’eau qui tombaient dans le foyer ardent