Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/115

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rang, une seule fois occupé, ne faisait qu’imprimer à ma médiocrité un caractère de déchéance. Mais il m’assurait un siège au banquet de la Saint-Charlemagne.

Je me faisais de ce banquet une idée sans cesse grandissante. Je ne dis pas que je me le représentais comme le festin des dieux que Raphaël a peint sur un plafond de la Farnésine, et cela pour bien des raisons qu’il est inutile d’exposer. Du moins, je le chargeais dans mon esprit de toutes les pompes et de toutes les magnificences que pouvait concevoir mon imagination jeune et débile, mais déjà ornée. C’était le sujet le plus fréquent de mes méditations. Ce l’eût été de tous mes entretiens ; pourtant je n’osais en parler à mon père dont je craignais la froide raison, ni à ma mère qui m’eût dit sûrement que je ne méritais pas les honneurs de cette table, car être premier une seule fois, c’est l’être par hasard. J’en causais à la cuisine avec Justine, et ne m’avisai-je pas de lui dire, un jour, tandis qu’elle faisait frire à grand bruit les pommes de terre, qu’à la Saint-Charlemagne on servait des paons avec leur queue déployée, un cerf avec ses andouillers et des marcassins dans leur robe de soie.