Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/133

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que je connaissais déjà depuis longtemps, quand, un matin, mon père qui s’y rendait, soit comme médecin, soit comme ami, m’emmena avec lui. Marc Ribert habitait sur la rive droite, près de la Madeleine, rue Duphot. Cette rue n’offrait rien de romantique, la maison non plus. Elle datait non de Louis le Hutin mais de Louis-Philippe. L’escalier, avec son tapis beige et sa rampe de fonte peinte en blanc, ne répondait en rien aux goûts de M. Ribert ; l’antichambre, garnie d’un porte-parapluie et d’un porte-manteau, n’y correspondait pas davantage. Mais patience ! Mon père se glissa seul dans un couloir qui conduisait sans doute à la chambre de M. Ribert et la servante qui nous avait reçus, fort grasse de toutes manières, m’introduisit dans un petit salon meublé de divans sur lesquels étaient des coussins brodés et des tapis d’Orient. Il y avait contre le mur de ce salon un très grand tableau qui me fit éprouver soudain tous les charmes de la douleur. La douleur touche mieux les cœurs généreux quand elle est belle. Je fus ému profondément à la vue de cette peinture représentant Ophélie, blonde et charmante, qui se noyait en souriant. Elle s’aban-