Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nients. Je parle d’une condition médiocre comme était la mienne et non point de cet état de gêne qui brise les plus courageux. Le manque d’argent me privait d’une multitude de choses agréables, que n’apprécient pas toujours ceux qui peuvent se les procurer et qui flattaient ma sensualité. Le désir sans doute est importun et quelquefois cruel. C’est ce que je vis tout de suite. Mais ce dont je m’aperçus après une longue observation, c’est que le désir embellit les objets sur lesquels il pose ses ailes de feu, que sa satisfaction, décevante le plus souvent, est la ruine de l’illusion, seul vrai bien des hommes ; elle tue le désir, qui fait seul le charme de la vie. Tous mes désirs étaient de beauté et je reconnus que cet amour de la beauté, que peu d’hommes ressentent et dont j’étais transporté, est une source jaillissante de plaisir et de joie. Ces découvertes que je fis successivement furent pour moi d’un prix inestimable. Elles me persuadèrent que ma nature et ma condition ne m’interdisaient point d’aspirer au bonheur.

Ce que mon âge trop tendre, ma trop courte expérience et une vie abritée m’empêchèrent de voir, c’est la fortune et ses coups : la for-