Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/254

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tune qui triomphe des caractères les plus fermes et change en un instant les conditions des hommes.

Ô Thébains ! Jusqu’au jour qui termine la vie
Ne regardons personne avec un œil d’envie.
Peut-on jamais prévoir les derniers coups du sort ?
Ne proclamons heureux nul homme avant sa mort.

Le premier exemple que j’eus des vicissitudes de la fortune ne fut point des plus tragiques ; je le rapporterai pourtant parce qu’il fit sur moi une impression très forte. Voici comme cet exemple me fut offert.

Un jour, dans un café de la rue Soufflot, où j’attendais Fontanet, je reconnus, assis à une table voisine de la mienne, Joseph Vernier, ce jeune aéronaute que, six ans auparavant, j’avais entendu faire une conférence à Grenelle, aux applaudissements d’un nombreux public. Deux membres de l’Institut se tenaient aux côtés du conférencier, sur l’estrade ; une dame en robe verte lui offrit une gerbe de fleurs. Il était pâle comme Bonaparte et j’enviais généreusement sa gloire et ses honneurs. Maintenant Joseph Vernier écrivait une lettre sur une table de café, en mâchant un cigare