Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/281

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rier une beauté où se fondaient harmonieusement les caractères des deux sexes, mais cette jeune personne, si même elle m’eût témoigné un peu de bienveillance, n’eût pas sans peine vaincu ma timidité ; elle m’inspirait naturellement une terreur sacrée qui s’augmentait de l’écrasante indifférence qu’elle me montrait ou, pour mieux dire, me laissait voir.

Elle fut, dans l’ordre des temps, la première de ces belles mortelles que je pris pour des déesses.

La personne dont s’accommodait le mieux chez M. Danquin ma timidité, et dont la conversation contentait le plus parfaitement mon appétit de savoir et mon besoin de gaîté, était mademoiselle Philippine Gobelin, bonne ménagère et grande liseuse, d’une étendue d’esprit qui allait de la prudence à la folie, comique et mélancolique, qui avait tout lu et tout retenu, sachant et ignorant dans le même instant qu’elle était laide, et employant sa bizarre érudition à varier des plaisanteries cosmogoniques sur son nez ovoïde et sur l’œuf qui en formait le bout, œuf mystique et fécond comme l’œuf d’Orphée et l’œuf d’Osiris.

— Un jour, disait-elle gravement, j’en ferai