Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/50

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morales auxquelles je me suis élevé par la suite, et qu’un démon familier me soufflait dès lors que les seuls crimes irrémissibles sont les crimes contre la beauté. Je pris contre M. Crottu le parti des Muses et des Charites, qu’il offensait grièvement en toute sa personne. Le malheureux ! Un cuir épais recouvrait ses grosses mains courtes qui froissaient toutes les choses délicates sur lesquelles elles s’appesantissaient et ne le pouvaient réjouir d’aucun contact agréable. Ses regards défiants ne savaient pas se reposer sur de belles images. Sa face était morne ; la seule expression de plaisir qu’il laissât paraître était de tirer hors de la bouche une langue humide en inscrivant sur un registre sordide des punitions iniques. Comme le rustre dont parle, je ne sais où, Népomucène Lemercier, il crachait en éventail et se mouchait en trompette. Tels étaient mes griefs à son endroit. Je le haïssais bien moins pour ce qu’il faisait que pour ce qu’il était ; haine constante, vouée, non pas aux actes qui varient, mais au naturel qui ne change pas ; et peut-être cette haine si forte et si bien nourrie ne se serait jamais révélée, peut-être mon cœur l’eût toujours tenue renfermée