Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/51

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et secrète si une circonstance, amenée par M. Crottu lui-même, ne l’eût fait éclater.

Il nous conta, un jour, à je ne sais quel propos, l’histoire du satyre Marsyas qui, osant lutter avec sa flûte contre Apollon, fut vaincu et écorché vif par le dieu de la lyre.

— Marsyas, nous dit M. Crottu, avait la face bestiale, le nez camus, la chevelure inculte, des cornes au front, les oreilles longues et velues, une queue de cheval et des pieds de bouc.

Le satyre ainsi dépeint, c’était M. Crottu lui-même, M. Crottu tout craché, aux cornes près, aux pieds de bouc et à la queue de cheval, que rien ne nous permettait de supposer chez un universitaire. Mais tout le reste s’y trouvait, notamment les oreilles vastes et broussailleuses. Les rires étouffés, les chuchotements, les exclamations qui accueillaient le portrait de Marsyas firent assez connaître que cette ressemblance apparaissait à toute la classe. Que je me sois écrié avec les autres, que j’aie fait ma partie dans le concert des rires, c’est croyable ; mais je m’abîmai tout aussitôt dans une méditation profonde. Bien que porté à donner tort à Marsyas, je ne pouvais me résoudre à approuver entièrement la