Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/52

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conduite d’Apollon à l’égard de son rival ; et, pour tout dire, je la trouvais cruelle. Toutefois, appliquée à un être que j’identifiais à M. Crottu, j’y découvris peu à peu une haute raison et une justice supérieure. J’esquissai sur mon cahier un portrait où ma main inhabile s’efforçait de fondre les traits du satyre et ceux du cuistre. Cette figure commençait à prendre de l’expression et devenait assez horrible quand M. Crottu l’aperçut, s’en saisit, la lacéra et paya mon art de je ne sais quel châtiment saugrenu. C’en était fait ! Je le traitai en ennemi et répondis à son attentat par un rire méprisant. Une sagesse tardive m’enseigne que j’eus tort de déclarer trop généreusement ma haine.

Dès lors j’affectai en sa présence un mépris hautain dont je m’exagérais l’effet. Je lui prodiguai toutes les marques d’aversion et de dégoût que me suggérait ma jeune imagination. À vrai dire, il en remarqua quelque chose et sa malveillance pour moi s’en accrut. Son humeur acerbe s’exerça avec une ardeur nouvelle sur mes erreurs et mes fautes ; mais c’était surtout ce que je faisais de bien qu’il ne me pardonnait pas. Mes mérites étaient petits