et ne se montraient guère ; encore n’étais-je pas entièrement dénué d’intelligence, et il m’arrivait parfois d’en donner quelques signes. C’est ce qui exaspérait M. Crottu. Lui faisais-je une réponse exacte, trouvait-il dans mes devoirs une bonne expression ; aussitôt son visage trahissait une vive contrariété et ses lèvres tremblaient de colère. Je succombais sous le poids inique des punitions. Par un juste ressentiment, j’entrepris de soulever la classe contre l’oppresseur. Pendant les récréations, je chargeais son nom d’invectives et d’exécrations. Je rappelais à mes condisciples ses vexations, ses difformités, les broussailles de ses oreilles pointues. Ils ne me contredisaient point, aucune voix ne s’élevait pour le défendre, mais la peur du maître pesait sur leur langue : ils se taisaient. À la maison, pendant les repas, j’essayais parfois de dévoiler M. Crottu à ma mère. Hélas ! il n’y avait pas de personne au monde moins préparée à recevoir une semblable révélation. Sa belle âme, nourrie du Télémaque, se représentait mes maîtres comme des sages de la Grèce, et M. Crottu lui apparaissait sous les traits de Mentor. Pour substituer, dans son esprit, à cette vénérable image
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