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neur, tatouée en bleu, avec cette inscription : Honneur et Patrie. Je le retrouvai bientôt devant le comptoir d’un marchand de vin du voisinage s’essuyant les moustaches d’un revers de main et frappant joyeusement des coups sonores sur l’épaule d’un vieux charretier.

La vue de ces artisans me communiqua en quelques instants plus de connaissances utiles que je n’en recueillais en trois mois au collège, et peut-être est-ce en ce jour que fut déposé en moi le germe de cet amour fécond que je gardai toute ma vie pour les arts manuels et ceux qui les pratiquent.

Je me promettais bien, en ce jour, qui me semblait infini, d’épuiser les amusements de la vie et les délices des bois. Je rencontrai au bord de la Seine, près d’un pont, une vieille femme assise sur un pliant, à côté d’une petite table chargée de gâteaux de Nanterre et d’une carafe de coco bouchée d’un citron. Ce mets et cette boisson me fournirent un déjeuner délicieux. Plein d’une force nouvelle, j’avais hâte de me promener dans le bois de Boulogne. J’y entrai par Auteuil, qui était encore à cette époque un village et dont les jolies maisons gardaient, sous l’ombre mouvante du feuillage,