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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/162

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LA VIE LITTÉRAIRE.

égyptienne qui brillait dans l’ombre, et je n’oublierai jamais l’impression d’harmonie que me donna cette figure sacrée, aux longs yeux ouverts, dans le cabinet de travail du poète qui composa le Roman de la momie et son incomparable prologue. C’est là qu’enfant Judith Gautier se nourrit de poésie et apprit à aimer la beauté exotique. Pour que son éducation d’artiste fût complète, il ne lui manqua rien, sinon peut-être le commun et l’ordinaire.

Et la fille du poète était si merveilleusement douée qu’elle écrivit, n’ayant pas vingt ans, un livre parfaitement beau dont le style resplendit d’une pure lumière. Les connaisseurs savent que je veux parler du Livre de Jade, recueil de poèmes en prose, inspirés, si l’on en croit l’auteur, des lyriques de la Chine. Judith Gautier avait appris le chinois à l’âge où les petites demoiselles n’étudient ordinairement que le piano, le crochet et l’histoire sainte. Je doute pourtant qu’elle ait trouvé dans Thou-Fou, Tché-Tsi ou Li-Taï-Pé tous les détails des fins tableaux contenus dans le Livre de Jade ; je doute que les poètes du pays de la porcelaine aient connu avant elle celle grâce, cette fleur qui vous charmera dans tel de ces morceaux achevés, qu’on peut mettre à côté des poèmes en prose d’Aloysius Bertrand et de Charles Baudelaire, dans le petit tableau de l’Empereur, par exemple :

l’empereur

Sur un trône d’or neuf, le Fils du Ciel, éblouissant de pierreries, est assis au milieu des mandarins ; il semble un soleil environné d’étoiles.