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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/168

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LA VIE LITTÉRAIRE.

d’armes. Elle aime les grands coups d’épée et les rendez-vous d’amour, quand ils sont très périlleux. Son Bussy est d’une bravoure charmante. On ne sait pas comment il n’est pas mille fois tué. Il échappe par miracle à des dangers dont la seule idée donne le frisson, et c’est ce qu’il faut dans un roman de cape et d’épée. Ce jeune Bussy est un cadet qui pour être de Soissons ne le cède en aventureux courage à aucun cadet de Gascogne, pas même à d’Artagnan.

Il aime Ourvaci, la reine de Bangalore, qui est une de ces figures de rêve que madame Judith Gautier excelle à peindre. Dans sa magnificence étrange et sa grâce exotique, dans sa fureur sauvage et dans sa tendresse héroïque, Ourvaci, la divine Ourvaci ne pouvait être conçue que par la fille de Théophile Gautier. Qu’elle passe à cheval comme une divinité chasseresse et guerrière, ou que, sur la terrasse de son palais, elle sorte d’un nuage de colombes familières et se montre enveloppée d’une gaze d’or, ou bien encore qu’au fond de sa chambre d’ivoire, couchée sur des coussins dans des voiles qui baignent comme une vapeur ses jeunes formes, elle offre à l’amant audacieux un baiser unique qu’il payera de sa vie, Ourvaci apparaît (c’est Judith Gautier elle-même qui parle), comme « l’incarnation de cet Hindoustan splendide et perfide, où les fleurs, au parfum trop fort, font perdre la raison et tuent quelquefois. »

L’amour n’a pas la même figure dans tous les pays. Pour M. de Bussy, qui est capitaine de volontaires,