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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/169

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JUDITH GAUTIER.

c’était sans doute l’enfant ailé, tout blanc dans les grands parcs français ; le petit archer chanté par Anacréon et par l’abbé de Chaulieu. La reine Ourvaci avait dans ses jardins une image du dieu de l’amour et cette image était beaucoup plus barbare et beaucoup plus hindoue que Bussy ne pouvait le concevoir. C’est pourquoi, sans doute, ils eurent tant de peine à s’entendre et faillirent vingt fois se tuer avant de s’aimer. C’est l’effet des préjugés. Il n’y a pas de chose qui, en tout temps et en tout pays, y soit aussi sujette que l’amour. Voici comment madame Judith Gautier nous décrit l’idole de l’amour telle qu’elle était dans les jardins de la reine de Bangalore :

L’asoka pourpre, qui semble couvert de corail en perles, faisait une ombelle au dieu de l’amour. Il apparaissait, en marbre, peint et doré, chevauchant un perroquet géant, et souriant sous sa mitre à jour, en tendant son arc, fait de bois de canne à sucre, avec une corde d’abeilles d’or. Les cinq flèches, dont-il blesse chaque sens, dépassaient le carquois, armées chacune d’une fleur différente : au trait qui vise les yeux, la tchampaka royale, si belle qu’elle éblouit ; à celui destiné à l’ouïe, la fleur du manguier, aimée des oiseaux chanteurs ; pour l’odorat le ketaka, dont le parfum enivre ; pour le toucher le késara, aux pétales soyeux comme la joue d’une jeune fille ; pour le goût, le bilva qui porte un fruit suave autant qu’un baiser.

Près de l’Amour on voyait son compagnon, le Printemps, et devant lui, agenouillées, ses deux épouses. Rati, la Volupté, et Prîti, l’Affection.

J’aurais voulu mettre plus d’ordre et de clarté dans ces simples notes sur un des talents les plus originaux