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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/170

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LA VIE LITTÉRAIRE.

de la littérature contemporaine. J’aurais voulu du moins vous montrer ce spectacle assez rare et digne d’être considéré d’une femme parfaitement belle, faite pour charmer, insoucieuse de sa beauté, fuyant le monde et n’ayant de goût qu’au travail et qu’à la solitude.

Ce je ne sais quoi de dédaigneux et de sauvage qu’on devine dans tout ce qu’elle écrit, madame Judith Gautier le porte au fond de son âme. Elle vit volontiers toute dans le cortège de ses rêves, et il est vrai qu’aucune cour ne pourrait lui faire une suite aussi magnifique. Elle a le sens de tous les arts. Elle est profondément musicienne. Personne ne connut mieux qu’elle l’oubli des heures dans le monde indéterminé des idées musicales. Elle a écrit sur Wagner un petit livre qui témoigne de sa longue familiarité avec ce grand génie. Elle a le goût et le sentiment de la peinture. Les murs de son salon sont couverts d’animaux bizarres peints par elle, dans la manière des kakémonos japonais, et qui trahissent à la fois son goût enfantin des images et son intelligence mystique de la nature.

Quant à son talent naturel de sculpteur, il étonnait ses amis, bien avant qu’elle signât avec M. H. Bouillon, le buste de Théophile Gautier, qui vient d’être inauguré à Tarbes. Je me rappelle avoir vu la maquette d’une pendule, dans laquelle madame Judith Gautier avait déployé, ce me semble, une habileté merveilleuse à grouper les figures. C’était une sphère terrestre, sur laquelle les douze heures du jour et les douze heures de la nuit, figurées par des femmes, se livraient à tous les