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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/199

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APOLOGIE POUR LE PLAGIAT.

de Scarron, jusqu’au jour où M. P. d’Anglosse, de Blois, montra que ce conte était tiré tout entier d’une nouvelle de Alonzo Geronimo de Salas Barbadillo, intitulée la Fille de Célestine (la Hija de Celestina), qui fut imprimée pour la première fois à Saragosse, chez la veuve de Lucas Sanchez, en 1612.

De la sorte, Molière prit à Scarron un bien qui n’appartenait pas à celui-ci. Cela est certain. Mais il reste à savoir si le grand comique fourragea chez Scarron ou chez Barbadillo lui-même. Les poètes français du XVIIe siècle tiraient quelque vanité des larcins qu’ils faisaient en Espagne, et il y avait plus d’honneur, sans doute, à mettre à contribution le seigneur Barbadillo que ce pauvre diable de Scarron. Corneille ne disait-il pas avec une préciosité superbe : « J’ai cru que, nonobstant la guerre des deux couronnes, il m’était permis de trafiquer en Espagne. Si cette sorte de commerce était un crime, il y a longtemps que je serais coupable. Ceux qui ne voudront pas me pardonner cette intelligence avec nos ennemis approuveront du moins que je pille chez eux. »

Molière, dans le cas que nous examinons, pilla-t-il en Espagne ou chez le cul-de-jatte de la rue des Deux-Portes ? C’est ce qu’il n’est pas très facile de discerner tout d’abord. On peut croire qu’il lisait l’espagnol comme la plupart des écrivains français de son temps. Un de ses ennemis disait :

… Sa muse en campagne
Vole dans mille auteurs les sottises d’Espagne.