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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/201

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APOLOGIE POUR LE PLAGIAT.

Madrid, persuadé que le diable seul pouvait lui avoir joué ce tour et se repentant beaucoup de s’être fié aux apparences. Car, ne pouvant pas concevoir que de pareils sentiments d’humilité se fussent logés dans l’âme de Montufar, il demeura convaincu qu’il avait été la dupe de ses yeux, le sens de la vue étant, comme tous les autres, fort sujet à l’erreur. »

Il y a là une ironie forte, qui passait de beaucoup le génie du pauvre Scarron. On est tenté de voir dans ces dernières lignes l’original des deux vers dits avec un si plaisant sérieux par madame Pernelle :

Mon Dieu, le plus souvent l’apparence déçoit ;
Il ne faut pas toujours juger sur ce qu’on voit.

(Acte V, sc. iii.)

Par contre, Scarron, qui traduit très librement, a ajouté au caractère de l’hypocrite un trait qui manquait à l’original. Il dit que Montufar « baissait les yeux à la rencontre des femmes », et on pourrait dire, à la rigueur, que c’est au cul-de-jatte que Molière a pris le mouchoir dont Tartufe veut couvrir le sein de Dorine. Mais il n’en faudrait point jurer.

Il est vrai qu’on retrouve encore une nouvelle de Scarron dans les sources de l’Avare de Molière. C’est un conte picaresque intitulé le Châtiment de l’avarice. Je ne doute pas qu’un savant versé sur la littérature espagnole, M. Morel-Fatio, par exemple, n’en connaisse l’original. M. Paul Mesnard, qui a relevé dans son excellente édition les emprunts faits par Molière aux anciens