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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/202

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LA VIE LITTÉRAIRE.

et aux modernes ne nomme pas même le Châtiment de l’avarice. C’est dédain et non point ignorance, la nouvelle dont je parle étant assez connue. M. Charles Louandre l’a insérée, dans ses vieux conteurs français. Le texte que j’«n ai sous les yeux date de 1678, c’est-à-dire de l’année même où parut l’Avare.

Que Molière ait connu cette nouvelle ou l’original dont elle est la traduction, cela est très probable. On y rencontre, ce qui ne se trouve point dans la Marmite de Pîaute et ce qui est le sujet même de la pièce de Molière, le risible amour d’un thésauriseur barbon.

L’avare de Scarron se nomme don Marcos et passe à Madrid pour gentilhomme. Il a coutume de dire « qu’une femme ne peut être belle si elle aime à prendre, ni laide si elle donne ».

En dépit de ces maximes, il tombe dans le panneau que des coquins lui tendent. Un Gamara, « courtier de toutes marchandises », le vient voir et lui vante la beauté, la sagesse et les grands biens de dame Isidore, qui n’est en réalité qu’une vieille courtisane édentée, plus pauvre que Job. L’avare consent à la voir et s’éprend d’elle dans un festin qu’elle lui donne.

À l’issue du festin, don Marcos (je cite littéralement mon auteur) avoua à Gamara, qui l’accompagna chez lui, que la belle veuve lui donnait dans la vue et que de bon cœur il aurait donné un doigt de sa main pour être déjà marié avec elle, parce qu’il n’avait jamais trouvé de femme qui fût plus son fait que celle-là, quoiqu’à la vérité il prétendit qu’après le mariage elle ne vivrait pas avec tant d’ostentation et de luxe.